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L’ÉDITO


On s’entend bien ?


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À vrai dire, pas mal, non ?

À en juger à la chaleur de nos retrouvailles lors des soirées d’ouverture de chaque début de saison, à la confiance qu’un nombre toujours croissant d’entre vous nous témoigne en s’abonnant, à la fidélité enfin de tous ceux pour qui, d’année en année, La Virgule illustre sa définition d’être une "signifiante respiration", alors, oui, on peut le dire : on s’entend bien.
En-tendre. Ne retrouve-t-on pas, dans l’étymologie même du mot, cette "tension" physique et morale de ceux qui, de chaque chaque côté de la rampe d’un théâtre, portent toute leur attention vers l’autre ?

Celle que nous vous témoignons implique une parole, des mots. On sait l’attachement qui est le nôtre pour un théâtre que l’on dit “de texte”, où les mots, chargés de sens, sont à proprement parler des actes, et éveillent. Un théâtre à votre écoute, mais sans démagogie, sans audimat simplement parce qu’avec vous, pour vous, il questionne notre temps et construit de l’humain : au lever de rideau était le verbe...

Bavard le théâtre ? Oui, sans doute, et parfois trop. Et ses historiens (1) ne manquent pas de constater que de Racine à Diderot, de Diderot à Maeterlinck, et de Maeterlinck à Beckett, le théâtre se mit, pas à pas, et avec bonheur, à l’apprentissage du silence. Celui-là qui crée parfois le sens autant que la parole.

Il est d’autres silences, hélas, de confort, qui ne s’embarrassent pas d’avoir à dire. Alors voilà qu’aujourd’hui, à ne plus rien vouloir faire entendre, le théâtre, à l’instar de tous nos "écrans", se met parfois à se taire pour laisser la place aux belles images, comme si l’image qui s’impose désormais à chacun pouvait renvoyer à autre chose qu’à la solitude qui isole et ne crée pas de lien.

Notre époque voit se raréfier les lieux d’échange : elle n’a plus ses forums, ses agora, ses marchés, ses petits commerces, ses veillées ... mais elle n’aura pas encore perdu le théâtre, s’il apprend à se méfier des images, finalement toujours bien sages et conservatrices malgré les audaces renouvelées de ceux qui les fabriquent. Car "montrer ne remplace pas la capacité de dire"(2) : la parole perdue cède toujours la place à une pensée rudimentaire. À un assoupissement comateux.

Mais si l’éveil de ce coma passe par les mots, ce ne peut être ceux de la cacophonie ambiante. Car quel vertige : 772 spectacles par jour au dernier festival d’Avignon, autant d’ouvrages à lire en cette "rentrée littéraire", et au moins autant de "petites phrases" de nos leaders politiques distillées par d’innombrables médias en ersatz d’une quelconque pensée politique ! "Beaucoup de bruit pour rien" aurait dit Shakespeare..

Dans cette indifférenciation des voix qui nous assaillent pour nous faire les témoins de leur singularité, le danger se précise d’un silence des convictions, et d’une défaite de la pensée.

On trouve heureusement au théâtre quelques îlots de résistance. La saison que nous vous proposons a l’ambition de vous en offrir un, avec dix spectacles (quatre au Salon de Théâtre, trois au Théâtre Municipal, trois au Centre Marius Staquet), drôles, ou émouvants, ou provocants, tous en bonne intelligence. Nous sommes sûrs qu’ils laisseront, longtemps après le tomber du rideau, un écho dans vos oreilles, vos cœurs et vos esprits. Car les troupes, acteurs, metteurs en scène que nous accueillons partagent avec nous la même éthique : ce sont, au théâtre, des gens de parole.

Nous le serons aussi à travers trois créations propres de la Compagnie, et plus particulièrement avec "Comma", que nous créerons au Salon de Théâtre dès le 22 novembre pour 26 représentations. Allégorie tragi-comique du rapport de l’acteur à son public, la pièce met en scène, dans l’espace d’une chambre d’hôpital (immaculée comme une page à écrire), la tentative acharnée d’un comédien pour sortir par la parole son parent proche, - très proche ! -, du sommeil pathologique où il semble s’être enfoncé sans retour. L’un parle, et l’autre n’entend pas. Que pourrait-il d’ailleurs entendre dans la logorrhée qu’on lui déverse à l’oreille ? Ne s’agit-il pas, dit l’infirmière, de mieux choisir ses mots, et de savoir les enrober du silence, bruissant, (virgules), de la pensée ? Car le théâtre, bien entendu, est aussi l’art de se taire.

Jean-Marc Chotteau 13 août 2005

1. Notamment Arnaud Rynker : L’envers du théâtre Dramaturgie du silence à l’âge classique à Maeterlinck. José Corti, 1996

2. Edouard Zarifian : Le goût de vivre, Retrouver la parole perdue. Odile Jacob, février 2005